La Vénérable Catherine Garcia
La Vénérable Mère CATHERINE GARCIA
Professe du Monastère de Saint-Pierre-Martyr, à Aumale
(1675)
La servante de Dieu était originaire de Palencia, en Espagne. Ses parents appartenaient à la noblesse et se distinguaient en outre par leurs vertus. Mais Jean Garcia, le père, vint à mourir, et sa veuve se remaria. Toutefois, elle prit grand soin d'assurer l'éducation chrétienne des deux petites filles que lui avait laissées son premier époux. Catherine, l'aînée, montra des dispositions précoces pour la piété.
Un jour, à l'église de nos Sœurs de Palencia, se trouvant dans le cortège d'une procession, elle vint à passer devant la statue de saint Pierre-Martyr. A ce moment, le visage du Saint parut se fixer sur elle avec une expression qui semblait dire : « Voilà une enfant qui sera à moi, dans un monastère placé sous mon vocable. » 11 devait en être ainsi.
Des revers de fortune contraignirent la famille à quitter l'Espagne pour aller à Bruxelles, près de la cour de Flandre, où l'attendait un bienveillant accueil. Deux ans après, Catherine perdit sa mère : l'archiduchesse Claire-Eugénie attacha la jeune fille à sa personne, et la garda comme demoiselle d'honneur l'espace de six ans. Vers cette époque, la fille du duc d'Aumale, elle aussi demoiselle d'honneur de l'archiduchesse, épousa le duc de Nemours, et à son départ, Claire-Eugénie lui confia, comme un trésor de grand prix, Catherine Garcia, sa fille d'adoption.
Une des premières visites de la princesse de Nemours, rentrée en France, fut pour la ville d'Aumale. Catherine l'y suivit et fit la connaissance des religieuses de Saint-Dominique. Bientôt elle déclara son intention d'entrer au noviciat de leur monastère. Vainement essaya-t-on de l'en dissuader : sa résolution était inébranlable. Toutefois, par déférence pour sa bienfaitrice, elle consentit à demeurer encore quatre ans avec elle. Dans cet intervalle, la pieuse enfant eut l'occasion de voir le saint évêque de Genève, François de Sales. Les entretiens de l'homme de Dieu contribuèrent à mûrir et assurer sa vocation.
Le démon voulut entraver les projets de la pieuse jeune fille en troublant son esprit par des illusions fâcheuses; il alla même jusqu'à la souffleter plusieurs fois. Catherine, soutenue par les conseils de deux docteurs de Sorbonne, et réconfortée chaque jour par le pain eucharistique, triompha des ruses du séducteur.
Enfin sonna pour elle l'heure de la délivrance. La duchesse de Nemours consentit à son départ. Elle la fit conduire à Aumale avec une escorte d'honneur, et remettre entre les mains du Procureur fiscal. Celui-ci, en la présentant au monastère de Saint-Pierre-Martyr, dit à la Supérieure : « Madame, que ferez-vous d'une postulante à peine capable de manger la moitié d'un œuf? — Pourvu qu'elle ait bonne volonté, répondit la Mère, elle ne sera pas une plante inutile dans notre parterre. »
Au reste, Catherine ne tarda pas à se vaincre sur le point de la nourriture. Le jour même de son entrée, on lui servit la pitance d'usage : elle la trouva fort bien apprêtée ; puis, s'imaginant qu'on l'avait fait ainsi, à sa considération, elle alla prier la supérieure de ne pas permettre qu'on la traitât autrement que la communauté.
L'extrême pauvreté de la maison fut un des motifs qui affermirent le plus ses dispositions intérieures. Comprenant que tel avait été l'esprit de saint Dominique, elle résolut de s'attacher de toutes ses forces à la pratique de cette vertu. Même ardeur pour l'observation du silence et de la mortification.
Un soir, on ferma par mégarde la porte du dortoir avant qu'elle fût rentrée. Sans songer que c'était une irrégularité plus grande de passer la nuit hors du noviciat, notre postulante se retira sous un hangar qui donnait par l'extérieur sur la chapelle. Le lendemain, on lui demanda pourquoi elle n'avait pas frappé: « J'ai craint, répondit-elle, d'enfreindre le silence. » Puis elle avoua que le rayonnement de la lampe du sanctuaire arrivant jusqu'à elle l'avait pénétrée de respect pour l'hôte divin du tabernacle, et qu'elle avait passé des heures délicieuses à le remercier de la grâce de sa vocation. Dieu, qui ne se laisse pas vaincre en générosité, combla Catherine de consolations spirituelles, les deux premiers mois de son postulat ; mais à ces jouissances sensibles succédèrent ensuite des désolations extrêmes pendant huit mois. Les joies reparurent pourtant, comme pour ensoleiller le jour de sa vêture. Elle prit l'habit le 21 août 1622 ; l'année suivante, à pareille date, elle fut admise à prononcer ses vœux.
II. — Notre professe était citée au noviciat comme un modèle de modestie. On l'établit sacristaine, sous la direction d'une Mère ancienne, fort ingénieuse à la contrarier en toute rencontre. La sérénité de l'angélique Sœur sortit triomphante de l'épreuve : jamais on ne put saisir sur ses lèvres ou sur ses traits la moindre saillie d'humeur ou de mécontentement. Chargée plus tard de la conduite du noviciat, elle conquit, dès le premier jour, l'estime et la confiance des jeunes Sœurs, bien qu'elle fût loin de les ménager; car, dans le principe, elle prit pour modèle l'austère saint Louis Bertrand. Entrée dans la charge à peu près au même âge que lui, elle remplit comme lui le même office à sept reprises différentes. Mais vingt ans avant sa mort, la servante de Dieu modéra beaucoup son excessive rigueur, et devint aussi indulgente pour ses filles que jadis elle s'était montrée sévère. Ce qui la porta, au début, à user de tant d'énergie, ce fut, croit-on, la connaissance que Dieu lui donna d'une duchesse de Flandre condamnée à dix-huit ans de purgatoire, pour n'avoir pas réprimé suffisamment les fautes de ses sujets. Catherine voulait aussi épargner à ses novices les peines terribles de l'autre vie, et pour cela ne leur ménageait ni humiliations, ni pénitences. Prêchant d'exemple la Vénérable Mère renonça à tout, même aux rapports épistolaires avec ses amies. Chaque jour, elle prenait la discipline avec des chaînettes de fer ou des orties, entourait ses reins de ceintures piquantes et se privait le plus possible de sommeil. Chargée de réveiller pour les Matines, comme il n'y avait pour régler les exercices conventuel d'autre horloge que celle de la ville, elle s'astreignait à demeurer a chœur pour sonner l'Office à l'heure voulue.
[…] Elle aimait à répéter à ses novices ces paroles de Moïse au peuple d'Israël : « Souvenez-vous de ce jour auquel vous êtes sortis de l'Egypte et de la maison de servitude. Souvenez vous que le Seigneur vous a tirés de ce lieu par la force de son bras et gardez-vous de manger un pain fermenté ».
Par ces derniers mots, la V. Mère entendait les plaisirs du siècle. « Ces plaisirs, disait-elle, nous adoucissent faussement les amertumes de la vie religieuse, et nous empêchent de les goûter avec le bois de la Croix. Ah! mes enfants, si vous compreniez votre bonheur et celui des âmes avec lesquelles vous conversez, vous vous estimeriez indignes de baiser la trace de leurs pas. Des milliers de personnes ont soupiré après l'état religieux et l'avaient mieux mérité que vous : cependant Dieu ne leur a pas accordé cette miséricorde. A nous par conséquent de faire fructifier les dons de Dieu, en nous revêtant des vertus de saint Dominique, notre glorieux Père, de sainte Catherine, notre Mère, et de tous les Saints de notre Ordre, nos admirables modèles! »
Les novices essayèrent de noter à mesure les enseignements de leur vénérée maîtresse; mais bientôt elles durent y renoncer, tant était impétueuse la force de son amour. Elles se contentèrent alors de relever les maximes les plus pratiques qu'elle leur inculquait.
Une novice se permit, un jour, de cirer les tables des cellules pour deux postulantes qu'on attendait. Peut-être s'imaginait-elle gagner par là leurs bonnes grâces. La Mère Catherine, l'ayant su, fît immédiatement porter les tables à la rivière, avec ordre de les laver jusqu'à ce qu'elles eussent perdu leur brillant.
A l'annonce d'une visite de la duchesse de Nemours, une Sœur passa de l'huile sur les tables du réfectoire, afin de les rendre plus luisantes. La V. Mère ne put supporter cette recherche : elle manda la novice et lui déclara que, si elle ne travaillait sérieusement à corriger sa sotte vanité, il lui faudrait gagner la porte.
Autant la sainte Maîtresse paraissait rude dans ses remontrances, autant par ailleurs elle se montrait indulgente et charitable. On la vit quitter à trois reprises son oraison, pour procurer un peu de soulagement à une novice malade. Elle prévenait les besoins de ses filles avec un empressement maternel, les consolait dans leurs peines, pleurait avec elles et les renvoyait parfaitement résignées.
Maintes fois, on s'aperçut qu'elle lisait dans les consciences. Un jour, au réfectoire, une novice se sentit pressée de prendre son repas à terre, mais elle remit à plus tard cet acte d'humilité. Catherine connut surnaturellement ce qui se passait dans cette âme. Sur-le-champ, elle quitte sa place et va reprocher à la Sœur son inconstance et son orgueil.
Une autre, considérant son peu de santé, avait pris secrètement la résolution de retourner au siècle. Dès le lendemain, la V. Mère lui découvrit le projet qu'elle avait formé, bien que la Sœur n'en eût parlé à personne. Elle releva son courage, la mit en garde contre de nouvelles épreuves, et, chaque fois qu'elle la rencontrait, elle lui traçait un signe de croix sur le front, en disant : « Va, Satan, la place est prise, Jésus restera le maître de cette âme qu'il a rachetée. »
La servante de Dieu excellait surtout à procurer au monastère de bonnes vocations, comme aussi à en éloigner les sujets indignes ou inutiles. Sa perspicacité ne se trouva jamais en défaut.
Une jeune fille d'Aumale, d'excellente famille, se présenta pour être religieuse. On fit une sérieuse opposition, à cause de sa frêle santé. La Mère Catherine, alors Prieure, voua cette enfant à saint Hyacinthe, s'engageant à lui donner le nom du Saint et à lui faire réciter chaque jour ses Litanies, si elle était reçue au saint habit. C'est ce qui arriva. Or, pendant la cérémonie de vêture, une Sœur de grande vertu aperçut aux côtés de la V. Mère l'illustre Saint regardant et bénissant avec amour sa protégée. On tint deux nouveaux conseils pour savoir si on la garderait. Catherine, sachant par révélation que la novice mourrait avant le terme de sa probation, opina en sa faveur et dit : « Laissons faire : Dieu disposera toute chose pour sa plus grande gloire. » Sœur Hyacinthe avait l'esprit naturellement fier. La Prieure s'appliqua à dompter sa nature et à lui faire acquérir les vertus que Jésus-Christ demandait de l'épouse qu'il s'était choisie. Elle réussit dans cette tâche au delà de ses espérances. La novice assistait encore aux Matines la veille de sa mort. Le lendemain, elle prononçait ses vœux à l'infirmerie et rendait le dernier soupir. Elle apparut ensuite, la tête nimbée d'une double auréole, et dit à la Mère Catherine : « Ma générosité à quitter le monde m'a valu devant Dieu le mérite du martyre. »
Pendant l'un de ses triennats, on présenta à la Mère Catherine trois postulantes, encore fort imbues de l'esprit du monde. La Prieure comprit qu'il y avait un bien à faire à ces âmes, et, pendant six mois, offrit à leur intention ses prières et ses mortifications. Dieu se laissa toucher. Les jeunes filles entrèrent au monastère dans des dispositions excellentes, et les parents, longtemps inflexibles dans leur opposition, vinrent d'eux-mêmes apporter leur consentement. Ce qui faisait dire ensuite à la V. Mère qu'on ne saurait trop s'employer à procurer de bons sujets à la Religion. Si l'Eglise reçoit un lustre nouveau de la naissance au ciel d'un Bienheureux, il en va de même, proportion gardée, de l'entrée au cloître d'une âme généreuse.
Catherine Garcia n'était pas moins éclairée sur les défections qui se produisaient dans le monastère; jamais, à cet égard, ses prédictions ne furent vaines. Toutefois, ce qui la distinguait principalement, c'était un don céleste pour affermir les Sœurs dont la vocation lui paraissait certaine. Un jour, elle aborde une novice prête à céder à la tentation de désespoir. La pauvre fille lui ouvre son âme : « Pas de découragement, répond la bonne Mère, vous êtes en meilleur état que vous ne pensez. Rien n'est perdu, je vous le dis de la part de Dieu ; faites un acte d'abandon entre ses mains et ne vous privez pas de la sainte communion. » La Sœur obéit et recouvra la paix.
III. — Tant de dons éclatants avaient posé la Mère Catherine en haut crédit dans son monastère; cela explique l'empressement de la communauté à l'élire Prieure. Des élections successives furent pour l'humble religieuse l'occasion de douleurs incroyables. Pour enlever à ses filles toute velléité de la reprendre, elle exagérait à dessein sa sévérité à la fin de ses triennats. Dieu déjoua ses calculs : l'ayant prédestinée pour conserver à Aumale l'esprit de saint Dominique, il permit qu'elle gouvernât cette maison toute sa vie, comme Prieure ou Maîtresse des novices.
Voici le règlement qu'elle se prescrivit.
Bien portante, on la voyait la première aux exercices réguliers et aux pratiques de pénitence. Malade et a l'infirmerie, elle avançait l'heure de ses repas, puis descendait au réfectoire pour jouir de la lecture. Elle s'y tenait dans une posture très humble, et sa vue inspirait aux Sœurs les sentiments d'une pareille modestie. Elle n'ordonnait rien qu'elle n'accomplît la première. Sous son habile direction, la communauté allait donc droit à Dieu et devenait en même temps un jardin de délices où l'Epoux divin aimait à se promener. Un homme de Dieu eut révélation de la joie que donnait au Ciel un monastère si bien réglé ; croyant de son devoir d'en faire part aux Sœurs, il vint un jour à la grille et leur dit :
« 11 est parmi vous une Religieuse qui s'élève bien haut, comme une flamme vive qu'aucun souffle n'agite ; l'enfer ne peut lui nuire, parce qu'elle se met sous les pieds des démons par sa profonde humilité. D'autres ici ressemblent à des sphères qui roulent sur une surface unie et n'y tiennent qu'en un point. Ce sont les âmes simples, candides, détachées de la terre : elles forment la majorité du personnel de la maison. Entre toutes j'en connais trois que baignent plus abondamment les eaux de la grâce. Réjouissez-vous, mes filles, de compter parmi vous des âmes selon le cœur de Dieu. »
Le vénérable prêtre eut ensuite un entretien privé avec la Prieure, qui était alors Sœur Catherine de la Croix. « Consolez-vous, lui dit-il ; votre communauté est une des plus ferventes et des plus unies que je connaisse. » Et précisant quelques déclarations de sa conférence : « Votre Sœur converse, Charlotte de la Résurrection, ajouta-t-il, est la religieuse dont j'ai parlé en premier lieu. Son humilité la rend invulnérable contre les traits du démon. Quant à la Mère Catherine Garcia, elle est l'une des trois âmes privilégiées qui puisent abondamment aux eaux de la grâce. »
Pendant les divers priorats de la servante de Dieu, la communauté se vit fréquemment aux prises avec la pauvreté. Dans cette extrémité fâcheuse, ses filles l'engageaient à implorer l'assistance de la reine Anne d'Autriche, dont elle était connue. Jamais la V. Mère ne put s'y résoudre. « Notre confiance, répondait-elle, ne doit pas reposer sur la faveur des grands, mais sur Dieu seul, dont la parole infaillible nous assure le nécessaire, si de notre côté, nous nous montrons soucieuses de chercher avant tout son royaume et sa justice. » Catherine éprouva l'effet de la promesse divine en des circonstances humainement désespérées. Le secours arrivait à point, et d'ordinaire de personnes sur lesquelles on n'aurait osé compter. Pas davantage elle ne consentit à donner libre entrée dans la maison aux dames de la plus haute noblesse, bien qu'on l'en eût vivement sollicitée, et que la communauté pût s'attendre en retour à de larges aumônes. Mais elle faisait garder strictement la clôture, selon les prescriptions du Concile de Trente, et n'admit qu'une exception, en faveur de la duchesse de Nemours, bienfaitrice insigne du monastère. Encore la réception était-elle empreinte de la plus grande simplicité, et quand la princesse partageait le repas des Soeurs, la lecture était faite à table et le silence observé rigoureusement.
IV. — Sœur Catherine Garcia fut désignée par l'autorité ecclésiastique pour aller fonder un monastère à Rouen, Elle partit, munie d'un grand crucifix qu'elle portait elle-même avec une piété touchante, et emmena avec elle quelques religieuses, entre autres la Mère Marie de Saint-Dominique, qui fut instituée Prieure après elle. Au bout de trois ans, employés à organiser la fondation, elle revint à Aumale, où sa présence était vivement réclamée. Pendant son priorat de Rouen, deux jeunes personnes fort riches avaient sollicité leur admission. C'était sans doute un bonne fortune pour une maison naissante ; la Mère Catherine ne s'arrêta pas à cette considération, elle avait pour principe de viser avant tout à l'établissement d'une parfaite régularité.
Dès son retour, elle fut élue Prieure, et continua de donner dans cet office la preuve de sa mâle vertu.
Elle poussait vivement ses filles à l'amour de la croix, et communiquait même aux personnes du dehors sa généreuse ardeur. Aux unes et aux autres elle rappelait que la Croix étant l'unique chemin du ciel, il leur fallait accepter de bon gré les occasions de souffrir ménagées par la Providence. Elle s'étudiait encore à établir la confiance de ses Sœurs sur les mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ. « II est mort pour nous, disait-elle, il nous a aimées de toute éternité, il désire trop conserver son ouvrage pour rebuter quiconque veut bien coopérer à sa grâce. Je ne le considère jamais expirant sur la croix, sans être remplie de cette espérance. »
Jour et nuit, elle portait sur elle un crucifix qu'elle couvrait de baisers. Elle prenait plaisir aux récits évangéliques de la Passion, et toute la semaine sainte, comme aussi chaque vendredi, elle endurait une souffrance extraordinaire. Une religieuse la voyant un jour, au chœur, dans un accablement extrême, lui en demanda la cause — « Eh! ne savez-vous pas, chère Sœur, répondit Catherine, que c'est aujourd'hui vendredi? »
Son respect pour le Très Saint Sacrement procédait d'une foi profonde : elle ne pouvait souffrir la moindre irrévérence dans le lieu saint. Un jour, une postulante passa devant le Tabernacle sans faire la génuflexion. La Mère Catherine la reprit sévèrement et la menaça de renvoi, si pareil fait se renouvelait.
Elle apprit quedans une localité voisine, les calvinistes avaient odieusement profané les saintes espèces. Elle commanda à ses Sœurs une procession expiatrice. Toute la communauté traversa les cloîtres pieds nus, et se rendit finalement au chœur, où Mère Catherine, la corde au cou, se prosterna contre terre, puis lut une amende honorable avec des accents de componction qui arrachaient des larmes.
Sa charité industrieuse s'étendait à toutes les infortunes : malades, affligés, voyageurs, prisonniers, nul n'était oublié dans ses prières. Elle suivait en esprit les missionnaires de pays infidèles et se réjouissait de leurs succès. Les âmes du Purgatoire avaient également large part dans ses suffrages et expiations.
Un homme, brouillé à mort avec les membres de sa famille pour des questions d'intérêt, ne pouvait voir les siens sans les accabler d'injures. I1 tomba malade. Vainement le prêtre 1'engageait-il à se réconcilier, pour éviter la damnation éternelle. On vient recommander ce pécheur à la Mère Catherine. Elle se retire devant le Saint-Sacrement, et représente à son Sauveur la perte d'une âme pour laquelle il a daigné mourir. Puis elle organise une procession en l'honneur de la Sainte Vierge, refuge des pécheurs. Pendant ce temps, le moribond rentrait en lui-même, se confessait sincèrement, demandait pardon à sa femme et à tous ses proches, puis mourait, laissant de grandes espérances de son salut.
Dans ses communions elle recommandait instamment à Notre Seigneur, le Pape, les cardinaux, les évêques, les prêtres, les religieux de tous les Ordres, et voulait que les novices et les Sœurs professes n'oubliassent aucune de ces intentions. Elle révérait grandement les ministres des autels, recueillait avec avidité les paroles tombées de leurs lèvres, et s'employait de tout son pouvoir à leur procurer des ornements sacrés dignes de leurs saintes fonctions.
La V. Mère pratiquait une rigoureuse pauvreté. Les objets à son usage étaient des plus communs. On lui avait remis une robe en très bon état ; elle s'en défit en faveur d'une religieuse qui se plaignait de la sienne. Bien que Supérieure et chargée d'infirmités, elle se prêtait aux plus rudes occupations de la maison, transportait le bois, lavait la vaisselle, travaillait au jardin. A soixante-douze ans, rentrée dans le rang de simple religieuse, elle se montrait pleine de déférence pour sa Prieure et lui demandait toutes ses permissions à genoux. Au Chapitre des coulpes, elle s'accusait avec un esprit de componction qui impressionnait grandement. Ses filles attestaient toutes ne lui avoir jamais rendu un service sans recevoir de sa part les marques de la plus touchante reconnaissance. — « Dieu vous le rendra dans la vie éternelle », disait-elle en joignant les mains. « Mais, ma Mère, si Dieu nous rend tout ce que vous dites, nous serons bien riches ! — Oui, mon enfant, il vous le rendra, et plus que vous ne pensez, car vous exercez la charité envers une personne qui ne mérite rien. Patience cependant : vous n'aurez pas désormais longtemps à vous occuper de moi ! — La mort seule me séparera de vous, reprit la pieuse fille, car en quelque état que Dieu vous mette, vous pouvez compter sur moi. » La Mère Catherine embrassa la Sœur et lui dit : « Hélas! Dieu me fera passer par de telles épreuves que vous en viendrez toutes à me souhaiter la mort comme une délivrance! »
En vraie fille de saint Dominique, Catherine Garcia honorait de toute son âme la Bse Vierge Marie. A la mort de sa mère, elle avait choisi la Reine des Anges pour lui en tenir lieu et jamais elle ne manqua de recourir à cette mère céleste avec un filial abandon. Sitôt qu'elle était mise à la tête de la communauté, elle allait déposer au pied de la statue de Marie les clefs du monastère, ne voulant être que la Sous-Prieure de cette auguste Maîtresse. Elle rendait également ses religieux devoirs au glorieux saint Joseph et à tous les Saints de l'Ordre, les invoquant chaque jour avec grande confiance.
V. — Nore Seigneur, qui destinait la V. Mère à une participation spéciale de ses souffrances, l'y conduisit peu à peu par des maladies étranges, dans lesquelles la sainte femme faisait admirer à son insu sa patience et ses autres vertus. C'était pour la communauté un grand sujet d'édification d'entendre les paroles brûlantes qui s'échappaient de ses lèvres. Elle offrait ses souffrances pour son cher monastère d'Aumale et pour celui de Rouen, dont elle suivait les progrès avec intérêt. Dans le même esprit de zèle, elle demandait pardon à Dieu pour tous les péchés du monde, surtout pour les ingratitudes ou infidélités des âmes consacrées à Dieu, II fallait modérer ses élans par égard pour sa faiblesse.
Dès que la fièvre diminuait, la malade essayait de se remettre aux exercices communs : elle dut cependant céder aux instances des Sœurs et cesser d'assister aux Matines. De graves rechutes mirent souvent ses jours en danger. Une fois entre autres, le médecin déclara qu'elle ne vivrait pas une heure. Les religieuses se réunirent au chœur et la vouèrent à sainte Restituta, vierge et martyre. Le soir même, un mieux se produisit.
Son infirmière l'entretenait un jour des frayeurs que lui causait l'appréhension des jugements de Dieu. Catherine la consola en disant : «J'ai été longtemps travaillée par cette sorte d'épreuves, mais présentement, je jouis d'un calme parfait ; il en sera de même, ma Sœur, si vous vous jetez amoureusement dans les bras de la divine Miséricorde. » En parlant ainsi, la servante de Dieu soupçonnait-elle les angoisses qui allaient fondre sur elle à l'improviste !
Quelques jours après, la même Religieuse s'aperçut d'un changement pénible dans son état. « Oh ! ma Mère, dit-elle, que vous me paraissez souffrante ! — Vous avez raison, répondit la sainte femme ; la justice divine m'a livrée au pouvoir de l'abîme ; les démons m'environnent, la porte de la miséricorde semble fermée pour moi ! » La Sœur jeta de l'eau bénite et le calme revint. — « L'eau bénite est bien puissante, dit la V. Mère, puisqu'elle chasse le démon. »
Cinq ans avant sa mort, Sœur Catherine reçut du Ciel un avertissement mystérieux. Après avoir communié, elle vit une main blanche comme l'albâtre lui présenter une croix sans Christ, mais avec l'empreinte des trois clous, d'où s'échappaient des rayons lumineux. Une voix lui dit : « Cette croix sera ton partage, et jusqu'à ta mort, tu y seras clouée sans consolation. »
Vers le même temps, une Converse, Sœur Marguerite de Saint-Hyacinthe, apercevait devant le grand crucifix de la tribune la Très Sainte Vierge et Sœur Catherine Garcia, celle-ci dans la posture d'une criminelle en présence de son juge. La Mère de Dieu priait son Fils d'avoir pitié de celle qui avait eu tant à cœur sa gloire et ses intérêts. La divine réponse fut que cette âme devait souffrir et satisfaire à la Justice.
On connut bientôt l'accomplissement de la vision. Sœur Catherine tenait sa conférence aux novices, quand l'usage de ses sens lui manqua soudain. Plongée dans un océan d'abandon, d'aridité, de sécheresse, il lui semblait se trouver sans foi, sans espérance, sans charité; pour mieux dire, comme dans un état anticipé de réprobation. Les pensées les plus affreuses lui traversaient l'esprit et la poussaient au désespoir. Les démons, suivant son expression, fourmillaient autour d'elle ; ses gestes, ses signes d'effroi montraient assez qu'elle les voyait et qu'ils ne lui laissaient de trêve ni jour, ni nuit. Elle resta ainsi plus de cinq ans dans ces délaissements, tout en jouissant d'une lumière supérieure qui lui permettait de consoler les Sœurs affligées.
Le dernier mois de sa vie, à la suite d'une communion, l'épouse du Christ fut délivrée de ses peines intérieures et dès lors la confiance la plus entière régna dans son âme. Sa chair même sembla refleurir, selon l'expression de l'Ecriture, sous l'abondance des grâces célestes. Elle eut une consolation sensible dans l'apparition d'une Dominicaine qui vint lui donner sa bénédiction. Quelle était cette religieuse? Personne ne sut le dire. On pensa, non sans raison, que c'était sainte Catherine de Sienne, envoyée du ciel pour annoncer à la fidèle imitatrice de ses vertus que l'éternelle récompense approchait.
Se sentant plus mal, Catherine demanda qu'on la mît sur une chaise. C'était la réalisation d'une prophétie faite par elle autrefois : « Je ne mourrai pas dans mon lit. » A peine y fut-elle placée, que l'agonie commença. Le confesseur, parti le matin, se trouvait à une lieue de la ville; une force irrésistible le poussa, comme malgré lui, à revenir au monastère. 11 arriva à temps pour assister la moribonde et recevoir son dernier soupir.
Le corps de la défunte resta flexible : les traits de son visage étaient empreints de majesté.
Une Religieuse ancienne, de très sainte vie et d'une grande intimité avec la Mère Catherine, eut la pensée de lui demander quelque révélation des miséricordes de Dieu sur son âme. Toutefois elle y renonça, préférant s'en tenir à la pratique du saint abandon. Mais Notre Seigneur la consola plus qu'elle n'eût espéré, en lui montrant sa vertueuse amie dans un globe de lumière.
Une autre, en proie à des peines intérieures, regrettait de n'avoir plus auprès d'elle cette puissante consolatrice, dont elle avait tant de fois éprouvé l'assistance. La nuit suivante, elle la vit en songe, brillante comme le soleil, portant des habits purs comme le cristal. D'un regard plein d'une douceur ineffable, elle calma les inquiétudes de la Sœur et la laissa inondée d'une paix profonde.
Catherine de Saint-Gabriel, prieure d'Aumale, fut surprise d'un léger assoupissement pendant son oraison. La défunte lui apparut toute glorieuse, au sommet d'une montagne, d'où elle lui faisait signe de venir la rejoindre. Six mois après, la vénérable Prieure quittait la vallée des larmes pour aller à la montagne des joies sans fin.
Enfin, le monastère tout entier se crut redevable aux prières de Sœur Catherine dans le ciel, d'un renouvellement de ferveur et d'une augmentation de ses membres. Depuis assez longtemps, le noviciat était vide : pas une postulante ne s'annonçait. On confia cette détresse à la vénérable Mère; bientôt, comme elle-même l'avait prédit avant de mourir, des vocations se présentèrent, nombreuses et choisies : la maison d'Aumale connut ainsi ses plus beaux jours de prospérité.